Le court-métrage documentaire au Festival Silhouette

 

Le Festival Silhouette a lieu cette année du 31 août au 8 septembre à Paris. Pour sa 12ème édition, la sélection estivale de courts-métrages, toujours aussi riche et éclectique, sera projetée majoritairement en plein air, au parc de la Butte du Chapeau Rouge, dans le XIXe arrondissement de la capitale. Comme les années précédentes, la programmation est composée essentiellement de films de fiction mais a à cœur de ménager une place à la production documentaire, comme à quelques œuvres « hybrides ».

Ainsi, en plus des quelques documentaires présentés en compétition internationale, une séance en salle sera consacrée le 7 septembre au cinéma du réel, avec la projection de quatre courts-métrages. Ces films aux genres et aux sujets variés ont en commun d’interroger une forme de mouvement, physique parfois, mais surtout métaphorique, qui fait émerger de la nuit des rencontres, des liens possibles.
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Dans Le jour a vaincu la nuit, Jean-Gabriel Périot cherche à initier un mouvement dans un lieu où, par définition, il semble arrêté : la prison. Issu d’un atelier d’écriture avec des détenus de la Maison d’arrêt d’Orléans, ce court-métrage met en scène des mouvements d’évasion métaphoriques à travers une suite de portraits poignants. Face caméra, une dizaine de personnes se succèdent et font le récit d’un rêve : rêve nocturne qui est venu troubler leur sommeil, ou rêve diurne de leur vie à venir, après la libération. Le dispositif est radical : pour chaque portrait, le filmé est cadré de front et en plan fixe. En enfermant chacun de ses habitants, les bords du cadre rejouent quelque chose de l’espace carcéral. Mais en même temps que les personnages sont ainsi assignés à une portion d’espace limitée et close, le cadrage permet dans un premier temps de ne pas identifier l’espace réel dans lequel ils se trouvent.

Paradoxalement, c’est lorsqu’au fil des portraits le cadre s’élargit que les personnages se retrouvent véritablement en prison. L’émergence progressive à l’écran de la réalité du lieu est alors compensée par la performance des personnages qui prennent peu à peu le relais de la mise en scène : par la force de leurs récits parlés ou chantés, par la présence de leur visage et de leur regard, les filmés en viennent à déborder le cadre, à échapper symboliquement à l’espace carcéral comme cinématographique.

Si au début du film, c’est l’espace cinématographique qui « fait oublier » l’espace de la prison, c’est progressivement la parole subjective des détenus qui acquiert le pouvoir d’en « sortir ». Les voix des filmés mobilisent et inventent d’autres lieux. Elles sont accompagnées d’une musique indisciplinée, hétérogène qui elle aussi double le cadre d’un espace sonore libéré. Tout le film met en scène la tension entre l’enfermement physique des corps et la possibilité de s’évader, de se réinventer par le rêve et son récit. Par la déliaison, la mise en mouvement.

La fixité du cadre et le regard face caméra matérialisent ainsi la surface de l’écran de manière paradoxale. Ce rectangle est à la fois le quatrième mur du champ, il est la membrane qui le clôt et sépare les personnes filmées des spectateurs. Nous regardons leurs visages, mais ils ne peuvent pas nous voir : leur regard nous est adressé mais semble buter sur un vide, une absence, les renvoyant de manière inquiétante à l’isolement. Mais, simultanément, l’écran devient aussi une fenêtre par laquelle les filmés sont vus, hors de la prison, une fenêtre par laquelle ils sortent, ne serait-ce que quelques instants, de l’espace carcéral. De manière troublante, il semble que le spectateur puisse même, fugitivement, croiser le regard de ces femmes et de ces hommes perçant la surface de l’écran. La présence de la caméra en prison a ici le pouvoir de créer, temporairement, une ouverture. En cela, elle soutient le travail performatif du récit vivant qui crée la possibilité d’une libération à venir, non seulement physique mais aussi subjective.

 

Camille Bui
Cinéma documentaire, août 2013
cinemadocumentaire.wordpress.com/2013/09/02/le-court-metrage-documentaire-au-festival-silhouette/